Texte 2: Le mariage: un esclavage?

Texte 2

Le mariage : un esclavage ?

Persinet, qui, à la scène précédente, est venu parler mariage avec Madame Sorbin, a été sèchement congédié.

LINA. – Pourquoi donc le maltraitez-vous, ma mère ? Est-ce que vous ne voulez plus qu’il m’aime, ou qu’il m’épouse ?

MADAME SORBIN.Non, ma fille, nous sommes dans une occurrence1l’amour n’est plus qu’un sot.

LINA. – Hélas ! quel dommage !

ARTHÈNICE. – Et le mariage, tel qu’il a été jusqu’ici, n’est plus aussi qu’une pure servitude que nous abolissons, ma belle enfant, car il faut bien la mettre un peu au fait pour la consoler.

LINA. – Abolir le mariage ! Eh ! que mettra-t-on à la place ?

MADAME SORBIN.Rien.

LINA. – Cela est bien court.

ARTHÈNICE. – Vous savez, Lina, que les femmes jusqu’ici ont toujours été soumises à leurs maris.

LINA. – Oui, Madame, c’est une coutume qui n’empêche pas l’amour.

MADAME SORBIN.Je te défends l’amour.

LINA. – Quand il y est, comment l’ôter ? Je ne l’ai pas pris ; c’est lui qui m’a prise, et puis je ne refuse pas la soumission.

MADAME SORBIN. – Comment soumise, petite âme de servante, jour de Dieu2, soumise, cela peut-il sortir de la bouche d’une femme ? Que je ne vous entende plus proférer cette horreur-là, apprenez que nous nous révoltons.

ARTHÈNICE.Ne vous emportez point, elle n’a pas été de nos délibérations, à cause de son âge, mais je vous réponds d’elle, dès qu’elle sera instruite. Je vous assure qu’elle sera charmée d’avoir autant d’autorité que son mari dans son petit ménage, et quand il dira : « je veux », de pouvoir répliquer : « moi, je ne veux pas. »

LINA, pleurant. – Je n’en aurai pas la peine ; Persinet et moi, nous voudrons toujours la même chose ; nous en sommes convenus entre nous.

MADAME SORBIN.Prends-y garde avec ton Persinet ; si tu n’as pas des sentiments plus relevés, je te retranche du noble corps des femmes, reste avec ma camarade et moi pour apprendre à considérer ton importance ; et surtout qu’on supprime ces larmes qui font confusion à ta mère, et qui rabaissent notre mérite.
ARTHÈNICE. – Je vois quelques-unes de nos amies qui viennent, et qui paraissent avoir à nous parler, sachons ce qu’elles nous veulent.

Marivaux, La Colonie, scène 5, 1750.

                                                                                                                                               

1. Situation.

2. Juron.

 

Objectif :

Etudier un dialogue argumentatif sur le thème de l’amour.

Q1. Quelles sont les deux thèses qui s’opposent dans cette scène ?

-        Arthénice et Madame Sorbin veulent abolir le mariage qui n’est que « pure servitude » alors que Lina défend l’amour «  c’est une coutume qui n’empêche pas l’amour ».

Q2. Le débat est-il équilibré ? Justifiez votre réponse.

Le débat n’est pas équilibré puisque Lina est seule contre deux opposantes dont sa mère. Mais surtout, il est déséquilibré par ce que Madame Sorbin et Arthénice sont des femmes moins naïves, dont l’expérience du mariage et la connaissance de ses travers font qu’elles prennent rapidement l’ascendant sur Lina, dépassée par l’argumentation de sa mère et d’Arthénice. Il est signalé à plusieurs reprises que Lina n’a pas toutes les cartes pour comprendre la situation « il faut bien la mettre un peu au fait pour la consoler », « à cause de son petit âge », «  dès qu’elle sera instruite »

Q3. Quel rôle joue spécifiquement Arthénice ?

Arthénice prend le parti de Madame Sorbin, toutefois, elle joue le rôle de médiatrice en apaisant le conflit entre la mère et sa fille. Elle cherche à expliquer son point de vue et non l’imposer tout en calmant Madame Sorbin qui ne fait preuve d’aucune patience : « Nous vous emportez point », «  je vous réponds d’elle », «  je vous assure qu’elle sera….. «  moi, je ne veux pas. ». Elle profite de l’arrivée de quelques « amies » pour interrompre le débat.

Q4. De quelles qualités Lina fait-elle preuve au cours de ce débat ?

Lina cherche à comprendre la situation comme en témoignent les questions : « Est-ce que vous ne voulez plus qu’il m’aime, ou qu’il m’épouse ? »……Malgré son âge jeune, elle ne se laisse pas influencer pas le ton imposant de sa mère et affirme son opinion : « Oui, Madame, c’est une coutume qui n’empêche pas l’amour. », ou dans sa dernière réplique «  Persinet et moi, nous voudrons toujours la même chose ; nous en sommes convenus entre nous. »

Q5. Quel regard Madame Sorbin porte-t-elle sur sa fille ?

Madame Sorbin trouve sa fille naïve et inconsciente à cause de l’amour. Elle méprise sa fille qui n’a qu’une « petite âme de servante » parce qu’elle accepte la soumission à son mari et la « retranche du noble corps des femmes. ». Selon elle, Lina a encore tout à « apprendre… » de sa condition de femme.

Q6. Comment s’y prend-elle pour imposer son point de vue ?

Pour imposer son point de vue, la mère de Lina se montre autoritaire en commençant le dialogue par l’adverbe de négation « non » et en donnant une série d’ordres : « je te défends l’amour. », « Que je ne vous entende plus proférer cette horreur –là », « apprenez », « prends-y garde », « qu’on supprime ces larmes ». Elle use en abondance de tournures injonctives et se montre sèche avec sa fille «  rien », « l’amour n’est plus qu’un sot. » en utilisant le présent de vérité général…. Elle n’exprime aucune pitié devant les pleurs de sa fille…..

Q7. Relevez toutes les négations présentes dans cette scène.

C’est fait !

Q8. Madame Sorbin les utilise-t-elle de la même façon que sa fille ? Expliquez.

SI Arthénice utilise la négation pour défendre Lina et s’opposer à la colère de Madame Sorbin, cette dernière exprime par les négations sa volonté d’abolir le mariage et de condamner sa fille. Lina, quant à elle, use de la négation pour appuyer sa thèse et nier la pertinence des propose de sa mère.

Vers le commentaire :

Q. Quels sont les enjeux de ce conflit mère-fille ?

Un enjeu théâtral : une scène vive… les personnages

Un enjeu historique : Conflit des générations

Un enjeu polémique : Le débat féministe annoncé, abolition de mariage, égalité, soumission des femmes

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