Revendiquer l’égalité des sexes

Texte 4

Revendiquer l’égalité des sexes

Madame Sorbin et Arthénice revendiquent l’égalité des sexes devant des hommes moqueurs.

 

ARTHÈNICE. – Messieurs, daignez répondre à notre question ; vous allez faire des règlements pour la république, n’y travaillerons-nous pas de concert1 ? À quoi nous destinez-vous là-dessus ?

HERMOCRATE. – À rien, comme à l’ordinaire.

UN AUTRE HOMME. – C’est-à-dire à vous marier quand vous serez filles, à obéir à vos maris quand vous serez femmes, et à veiller sur votre maison : on ne saurait vous ôter cela, c’est votre lot.

MADAME SORBIN. – Est-ce là votre dernier mot ? Battez tambour ; (Et à Lina) et vous, allez afficher l’ordonnance2 à cet arbre. (On bat le tambour et Lina affiche.)

HERMOCRATE. – Mais qu’est-ce que c’est que cette mauvaise plaisanterie-là ? Parlez-leur donc, seigneur Timagène, sachez de quoi il est question.

TIMAGÈNE. – Voulez-vous bien vous expliquer, Madame ?

MADAME SORBIN. – Lisez l’affiche, l’explication y est.

ARTHÈNICE. – Elle vous apprendra que nous voulons nous mêler de tout, être associées à tout, exercer avec vous tous les emplois, ceux de finance, de judicature et d’épée3.

HERMOCRATE. – D’épée, Madame ?

ARTHÈNICE. – Oui d’épée, Monsieur ; sachez que jusqu’ici nous n’avons été poltronnes4 que par éducation.

MADAME SORBIN. – Mort de ma vie ! qu’on nous donne des armes, nous serons plus méchantes que vous ; je veux que dans un mois, nous maniions le pistolet comme un éventail : je tirai ces jours passés sur un perroquet, moi qui vous parle.

ARTHÈNICE. – Il n’y a que de l’habitude à tout.

MADAME SORBIN. – De même qu’au Palais à tenir l’audience, à être présidente, conseillère, intendante, capitaine ou avocate.

UN HOMME. – Des femmes avocates ?

MADAME SORBIN. – Tenez donc, c’est que nous n’avons pas la langue assez bien pendue, n’est-ce pas ?

ARTHÈNICE. – Je pense qu’on ne nous disputera pas le don de la parole.

HERMOCRATE. – Vous n’y songez pas, la gravité de la magistrature et la décence du barreau ne s’accorderaient jamais avec un bonnet carré sur une cornette5.

ARTHÈNICE. – Et qu’est-ce que c’est qu’un bonnet carré, Messieurs ? Qu’a-t-il de plus important qu’une autre coiffure ? D’ailleurs, il n’est pas de notre bail6 non plus que votre Code ; jusqu’ici c’est votre justice et non pas la nôtre ; justice qui va comme il plaît à nos beaux yeux, quand ils veulent s’en donner la peine, et si nous avons part à l’institution des lois, nous verrons ce que nous ferons de cette justice-là, aussi bien que du bonnet carré, qui pourrait bien devenir octogone si on nous fâche ; la veuve ni l’orphelin n’y perdront rien.

 

Marivaux, La Colonie, scène 13, 1750.

 

1. Ensemble.

2. Le décret officiel.

3. En relation avec la justice et avec l’armée.

4. Peureuses.

5. Le bonnet carré est la coiffe des juges. La cornette est une coiffe féminine.

6. Nous ne le reconnaissons pas.

Objectif :

-         Identification des caractéristiques d’un débat et ses limites.

-         Les caractéristique du discours argumentatif et notamment les procédés rhétoriques.

     Répondez aux questions suivantes:

Q.1 : Quel personnage dans cette scène vous semble le plus convaincant ? Pourquoi ?

Q2. Quelle place les hommes comptent-ils laisser aux femmes dans leurs » règlements pour la république » ?

Q.3. Pourquoi ?

Q4. Comment le mépris d’Hermocrate à l’égard des femmes s’exprime-t-il ?

Q5. Que réclament Madame Sorbin et Arthénice ?

Q6. Quels arguments avancent-elles pour légitimer leur demande ?

Q7. GRAMMAIRE

                         
a. Relevez dans les répliques de Madame Sorbin deux manières différentes d’exprimer l’injonction.


b. Quelle forme emploie-t-elle dans les mots : « moi qui vous parle »

c. Quelle image cela donne-t-il du personnage ?


Q8. Montrez que dans la dernière partie de l’extrait, les femmes emploient la tonalité comique.

Q9. Dans quel but l’utilisent-elles, à votre avis ?

Q10. Vers le commentaire

Montrez comment cette scène marque une étape dans le débat autour de la question de la femme.

 

Texte3: Qu'est-ce qu'une femme?

Texte 3

 

Qu’est-ce qu’une femme ?

Au début de la scène, Madame Sorbin a laissé échappé : « oh ! pour moi, je ne suis qu'une femme ». Arthénice, faisant remarquer que ce type de langage montre l'oppression à laquelle sont soumises les femmes, tente de répondre à la question : « Qu'est-ce qu'une femme ? ».

 

ARTHÈNICE. – Je recommence : regardez-la, c’est le plaisir des yeux ; les grâces et la beauté, déguisées sous toutes sortes de formes, se disputent à qui versera le plus de charmes sur son visage et sur sa figure. Eh ! Qui est-ce qui peut définir le nombre et la variété de ces charmes ? Le sentiment les saisit, nos expressions n’y sauraient atteindre. (Toutes les femmes se redressent ici. Arthénice continue.) La femme a l’air noble, et cependant son air de douceur enchante. (Les femmes ici prennent un air doux.)

UNE FEMME. – Nous voilà.

MADAME SORBIN. – Chut !

ARTHÈNICE. – C’est une beauté fière, et pourtant une beauté mignarde1 ; elle imprime un respect qu’on n’ose perdre, si elle ne s’en mêle ; elle inspire un amour qui ne saurait se taire ; dire qu’elle est belle, qu’elle est aimable, ce n’est que commencer son portrait ; dire que sa beauté surprend, qu’elle occupe, qu’elle attendrit, qu’elle ravit, c’est dire, à peu près, ce qu’on en voit, ce n’est pas effleurer ce qu’on en pense.

MADAME SORBIN. – Et ce qui est encore incomparable, c’est de vivre avec toutes ces belles choses-là, comme si de rien n’était ; voilà le surprenant, mais ce que j’en dis n’est pas pour interrompre, paix !

ARTHÈNICE. – Venons à l’esprit, et voyez combien le nôtre a paru redoutable à nos tyrans ; jugez-en par les précautions qu’ils ont prises pour l’étouffer, pour nous empêcher d’en faire usage ; c’est à filer, c’est à la quenouille2, c’est à l’économie3 de leur maison, c’est au misérable tracas d’un ménage, enfin c’est à faire des nœuds, que ces messieurs nous condamnent.

UNE FEMME. – Véritablement, cela crie vengeance.

ARTHÈNICE. – Ou bien, c’est à savoir prononcer sur des ajustements4, c’est à les réjouir dans leurs soupers, c’est à leur inspirer d’agréables passions, c’est à régner dans la bagatelle5, c’est à n’être nous-mêmes que la première de toutes les bagatelles ; voilà toutes les fonctions qu’ils nous laissent ici-bas ; à nous qui les avons polis6, qui leur avons donné des mœurs, qui avons corrigé la férocité de leur âme ; à nous, sans qui la terre ne serait qu’un séjour de sauvages, qui ne mériteraient pas le nom d’hommes.

UNE DES FEMMES. – Ah ! les ingrats ; allons, Mesdames, supprimons les soupers dès ce jour.

UNE AUTRE. – Et pour des passions, qu’ils en cherchent.

 

Marivaux, La Colonie, scène 9, 1750.

 

1. Gracieuse, délicate.

2. Instrument utilisé pour filer.

3. Art de gérer une maison.

4. Arrangement des vêtements et des accessoires.

5. Futilité, chose sans importance.

6. Éduqués, civilisés.

Texte 2: Le mariage: un esclavage?

Texte 2

Le mariage : un esclavage ?

Persinet, qui, à la scène précédente, est venu parler mariage avec Madame Sorbin, a été sèchement congédié.

LINA. – Pourquoi donc le maltraitez-vous, ma mère ? Est-ce que vous ne voulez plus qu’il m’aime, ou qu’il m’épouse ?

MADAME SORBIN.Non, ma fille, nous sommes dans une occurrence1l’amour n’est plus qu’un sot.

LINA. – Hélas ! quel dommage !

ARTHÈNICE. – Et le mariage, tel qu’il a été jusqu’ici, n’est plus aussi qu’une pure servitude que nous abolissons, ma belle enfant, car il faut bien la mettre un peu au fait pour la consoler.

LINA. – Abolir le mariage ! Eh ! que mettra-t-on à la place ?

MADAME SORBIN.Rien.

LINA. – Cela est bien court.

ARTHÈNICE. – Vous savez, Lina, que les femmes jusqu’ici ont toujours été soumises à leurs maris.

LINA. – Oui, Madame, c’est une coutume qui n’empêche pas l’amour.

MADAME SORBIN.Je te défends l’amour.

LINA. – Quand il y est, comment l’ôter ? Je ne l’ai pas pris ; c’est lui qui m’a prise, et puis je ne refuse pas la soumission.

MADAME SORBIN. – Comment soumise, petite âme de servante, jour de Dieu2, soumise, cela peut-il sortir de la bouche d’une femme ? Que je ne vous entende plus proférer cette horreur-là, apprenez que nous nous révoltons.

ARTHÈNICE.Ne vous emportez point, elle n’a pas été de nos délibérations, à cause de son âge, mais je vous réponds d’elle, dès qu’elle sera instruite. Je vous assure qu’elle sera charmée d’avoir autant d’autorité que son mari dans son petit ménage, et quand il dira : « je veux », de pouvoir répliquer : « moi, je ne veux pas. »

LINA, pleurant. – Je n’en aurai pas la peine ; Persinet et moi, nous voudrons toujours la même chose ; nous en sommes convenus entre nous.

MADAME SORBIN.Prends-y garde avec ton Persinet ; si tu n’as pas des sentiments plus relevés, je te retranche du noble corps des femmes, reste avec ma camarade et moi pour apprendre à considérer ton importance ; et surtout qu’on supprime ces larmes qui font confusion à ta mère, et qui rabaissent notre mérite.
ARTHÈNICE. – Je vois quelques-unes de nos amies qui viennent, et qui paraissent avoir à nous parler, sachons ce qu’elles nous veulent.

Marivaux, La Colonie, scène 5, 1750.

                                                                                                                                               

1. Situation.

2. Juron.

 

Objectif :

Etudier un dialogue argumentatif sur le thème de l’amour.

Q1. Quelles sont les deux thèses qui s’opposent dans cette scène ?

-        Arthénice et Madame Sorbin veulent abolir le mariage qui n’est que « pure servitude » alors que Lina défend l’amour «  c’est une coutume qui n’empêche pas l’amour ».

Q2. Le débat est-il équilibré ? Justifiez votre réponse.

Le débat n’est pas équilibré puisque Lina est seule contre deux opposantes dont sa mère. Mais surtout, il est déséquilibré par ce que Madame Sorbin et Arthénice sont des femmes moins naïves, dont l’expérience du mariage et la connaissance de ses travers font qu’elles prennent rapidement l’ascendant sur Lina, dépassée par l’argumentation de sa mère et d’Arthénice. Il est signalé à plusieurs reprises que Lina n’a pas toutes les cartes pour comprendre la situation « il faut bien la mettre un peu au fait pour la consoler », « à cause de son petit âge », «  dès qu’elle sera instruite »

Q3. Quel rôle joue spécifiquement Arthénice ?

Arthénice prend le parti de Madame Sorbin, toutefois, elle joue le rôle de médiatrice en apaisant le conflit entre la mère et sa fille. Elle cherche à expliquer son point de vue et non l’imposer tout en calmant Madame Sorbin qui ne fait preuve d’aucune patience : « Nous vous emportez point », «  je vous réponds d’elle », «  je vous assure qu’elle sera….. «  moi, je ne veux pas. ». Elle profite de l’arrivée de quelques « amies » pour interrompre le débat.

Q4. De quelles qualités Lina fait-elle preuve au cours de ce débat ?

Lina cherche à comprendre la situation comme en témoignent les questions : « Est-ce que vous ne voulez plus qu’il m’aime, ou qu’il m’épouse ? »……Malgré son âge jeune, elle ne se laisse pas influencer pas le ton imposant de sa mère et affirme son opinion : « Oui, Madame, c’est une coutume qui n’empêche pas l’amour. », ou dans sa dernière réplique «  Persinet et moi, nous voudrons toujours la même chose ; nous en sommes convenus entre nous. »

Q5. Quel regard Madame Sorbin porte-t-elle sur sa fille ?

Madame Sorbin trouve sa fille naïve et inconsciente à cause de l’amour. Elle méprise sa fille qui n’a qu’une « petite âme de servante » parce qu’elle accepte la soumission à son mari et la « retranche du noble corps des femmes. ». Selon elle, Lina a encore tout à « apprendre… » de sa condition de femme.

Q6. Comment s’y prend-elle pour imposer son point de vue ?

Pour imposer son point de vue, la mère de Lina se montre autoritaire en commençant le dialogue par l’adverbe de négation « non » et en donnant une série d’ordres : « je te défends l’amour. », « Que je ne vous entende plus proférer cette horreur –là », « apprenez », « prends-y garde », « qu’on supprime ces larmes ». Elle use en abondance de tournures injonctives et se montre sèche avec sa fille «  rien », « l’amour n’est plus qu’un sot. » en utilisant le présent de vérité général…. Elle n’exprime aucune pitié devant les pleurs de sa fille…..

Q7. Relevez toutes les négations présentes dans cette scène.

C’est fait !

Q8. Madame Sorbin les utilise-t-elle de la même façon que sa fille ? Expliquez.

SI Arthénice utilise la négation pour défendre Lina et s’opposer à la colère de Madame Sorbin, cette dernière exprime par les négations sa volonté d’abolir le mariage et de condamner sa fille. Lina, quant à elle, use de la négation pour appuyer sa thèse et nier la pertinence des propose de sa mère.

Vers le commentaire :

Q. Quels sont les enjeux de ce conflit mère-fille ?

Un enjeu théâtral : une scène vive… les personnages

Un enjeu historique : Conflit des générations

Un enjeu polémique : Le débat féministe annoncé, abolition de mariage, égalité, soumission des femmes

Les mouvements littéraires

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