Maurice Scève, « Le sourcil » (1536)


Éclairage
Le blason est un court poème consacré à l’éloge d’une partie du corps. Ce type de poème était très à la mode au XVIe siècle, notamment à la suite du blason « Du beau tétin » de Clément Marot. On peut parler de contre-blason lorsque le poème fait la satire d’une partie du corps.
 

Maurice Scève, « Le sourcil » (1536)
En 1536, le poète lyonnais Maurice Scève participe au concours de blasons du corps féminin organisé par Clément Marot ; il le remporte avec ce poème.

Sourcil tractif1 en voûte fléchissant
Trop plus qu’ébène, ou jayet2 noircissant.
Haut forjeté3 pour ombrager les yeux,
Quand ils font signe ou de mort, ou de mieux.
Sourcil qui rend peureux les plus hardis,
Et courageux les plus accouardis4.
Sourcil qui fait l’air clair,
obscur soudain,
Quand il froncit par ire5, ou par dédain,
Et puis le rend serein, clair et joyeux,
Quand il est doux, plaisant et gracieux.
Sourcil qui chasse et provoque les nues6
Selon que sont ses archées7 tenues.
Sourcil assis au lieu haut pour enseigne,
Par qui le cœur son vouloir nous enseigne,
Nous découvrant sa profonde pensée,
Ou soit de paix, ou de guerre offensée.
Sourcil, non pas sourcil, mais un sous-ciel
Qui est le dixième et superficiel8,
Où l’on peut voir deux étoiles ardentes,
Lesquelles sont de son arc dépendantes,
Étincelant plus souvent et plus clair
Qu’en été chaud un bien soudain éclair.
Sourcil qui fait mon espoir prospérer,
Et tout à coup me fait désespérer.
Sourcil sur qui amour prit le portrait
Et le patron9 de son arc, qui attrait
Hommes et Dieux à son obéissance,
Par triste mort et douce jouissance.
Ô sourcil brun, sous tes noires ténèbres
J’ensevelis en désirs trop funèbres
Ma liberté et ma dolente10 vie,
Qui doucement par toi me fut ravie.

Maurice Scève, « Le sourcil », 1536, orthographe modernisée.
                                                                             
1. Bien dessiné.                            
2. Jais, une pierre noire et brillante.
3. S’avançant.
4. Peureux.
5. Colère.
6. Nuages.
7. Arcs formés par les sourcils.
8. Au Moyen Âge, l’univers était représenté avec dix ciels.
9. Modèle.
10. Douloureuse.

Texte écho
Paul Éluard, « La courbe de tes yeux » (1926)
La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j’ai vécu
C’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu.

Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs,

Parfums éclos d’une couvée d’aurores
Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l’innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.
Paul Éluard, « La courbe de tes yeux », Capitale de la douleur, 1926 © Éditions Gallimard.


Objectifs

·         Étudier le genre du blason et étudier son évolution.

·         Travailler sur les figures de style.

Éclairage                 

·         Le blason est un court poème consacré à l’éloge d’une partie du corps. Ce type de poème était très à la mode au XVIe siècle, notamment à la suite du blason « Du beau tétin » de Clément Marot. On peut parler de contre-blason lorsque le poème fait la satire d’une partie du corps.

Entrer dans le texte

1. Quels sont les points communs entre les deux poèmes?

·         Ces deux poèmes sont des blasons car ils font l’éloge d’une partie du corps de l’être aimé. Ils décrivent des parties du corps différentes, mais physiquement très proches : le blason de Maurice Scève décrit le sourcil et celui de Paul Éluard l’œil de la femme aimée.

·         Dans le texte de Scève, les yeux de la femme aimée sont également décrits, comme « deux étoiles ardentes ». De nombreux points communs rapprochent donc ces deux poèmes.

L’éloge du sourcil

·         2. Par quelle figure de style le poète met-il le mot « sourcil » en valeur ?

·         Le mot « sourcil » est mis en valeur par une anaphore qui structure tout le poème : il apparaît aux vers 1, 5, 7, 11, 13, 17, 23 et 25.

3. Quels pouvoirs sont attribués au sourcil ?

·         Le sourcil de la femme aimée est présentée comme tout puissant. Il peut décider de la vie ou de la mort : « ils font signe ou de mort, ou de mieux » (v. 4). Il peut transformer les hommes, comme le montrent les jeux sur les antithèses aux vers 5 et 6 : « rend peureux les plus hardis, / et courageux les plus accouardis ».

·         Les antithèses montrent également la transformation du monde opérée par le sourcil : « sourcil qui fait l’air clair, obscur soudain [...]/ Et puis le rend serein, clair et joyeux » (v. 7 - 9). Enfin, le sourcil est tout-puissant concernant le poète, comme le montrent les deux derniers vers : « ma dolente vie / Qui doucement par toi me fut ravie » (v. 31-32).

4. Montrez que le poète donne à un détail (le sourcil) une dimension cosmique.

·         Le poète établit à partir du vers 17 une analogie entre le sourcil et des éléments cosmiques : le sourcil est un « sous-ciel » et les yeux « deux étoiles ardentes » (v. 19). Cette analogie participe de l’éloge de la femme aimée puisqu’elle donne à son corps une dimension cosmique.

5. Comment lie-t-il le sourcil à une représentation traditionnelle de l’amour à la fin du poème ? Expliquez.

·         A partir du vers 25, le poète convoque des éléments traditionnels de la représentation de l’amour : le dieu Amour et son arc. Le poète raconte ainsi que le sourcil a servi de modèle à l’arc : « Sourcil sur qui amour prit le portrait / Et le patron de son arc ».

·         Cette analogie entre le sourcil de la femme aimée et l’arc d’Amour fait du sourcil l’origine de l’amour du poète : c’est lui qui provoque le coup de foudre.

6. Quel est le destinataire de ce poème ? Donnez plusieurs réponses.

·         Le premier destinataire du poète est le sourcil (et donc par synecdoque : la femme) comme le montre explicitement la fin du poème avec l’apostrophe accompagnée d’un ô lyrique : « Ô sourcil brun » (v. 29). Toutes les anaphores du poème peuvent également être lues comme des apostrophes. Dans les derniers vers, le poète avoue au sourcil que ce dernier lui a pris sa « dolente vie » (v. 31).

·         Néanmoins, derrière le sourcil, c’est bien sûr à la femme aimée que s’adresse ce poème : l’éloge du sourcil permet de faire l’éloge de celle-ci et de chercher à la séduire en avouant son amour. Enfin, le poète s’adresse aux lecteurs, et en particulier au poète Clément Marot, juge du concours de blasons, à qui il s’agit de montrer toute sa virtuosité poétique.

7. Relevez trois jeux de mots dans le poème et expliquez-les.

·         On peut par exemple relever :

·         aux vers 7-8, une paronomase entre « air » et « ire » ;

·         aux vers 5 et 6, un jeu de mots à la rime entre « hardis » et « accouardis » ;

·         aux vers 13-14, un jeu de mots à la rime, avec l’homophonie entre le nom commun « enseigne » et le verbe « enseigner » conjugué à la troisième personne du singulier, au présent ;

·         aux vers 17-18, le poète rapproche « sourcil », « sous-ciel » et « superficiel » (v. 17) en jouant là encore sur la proximité sonore (paronymie).

8. GRAMMAIRE

·         a. Donnez la nature et la fonction du mot « obscur » (► v. 7).

·         Nature : adjectif qualificatif

·         Fonction : attribut du COD « l’air clair » (v. 7) (remarque : aujourd’hui, on emploierait le verbe attributif « rendre » : Il rend l’air clair soudain obscur)

b. Indiquez l’antécédent et la fonction des pronoms relatifs (► v. 17-22).

Pronom
Antécédent
Fonction
« Qui » (v. 18)
« un sous-ciel » (v. 17)
sujet de « est » dans la proposition subordonnée relative
« Où » (v. 19)
« un sous-ciel » (v. 17)
complément circonstanciel de lieu dans la proposition subordonnée relative
« Lesquelles » (v. 20)
« deux étoiles ardentes » (v. 19)
sujet de « sont » dans la proposition subordonnée relative

 

 

 

 

 

 

 

 



9. Selon vous, qui ce poème met-il le plus en valeur ? La femme aimée ou le poète ?

·         Ce poème est destiné à mettre en valeur la femme aimée à travers l’éloge du sourcil. Cependant, la structure et la virtuosité poétique mettent encore plus en valeur le poète.

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