Séquence IV

Séquence IV: La Colonie de Marivaux, une comédie sociale?
Problématique:

Comment par le rire, Marivaux réussit-il à faire réfléchir les lecteurs sur les inégalités hommes-femmes de son époque ?

Objectif :

-        -Étudier la question de l’égalité hommes-femmes au siècle des Lumières

-        -L’analyse de la dimension argumentative de la pièce
 

Marivaux
Biographie :
Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux connu sous le nom de Marivaux ( 1688 – 1763) est un auteur dramatique exemplaire. Amoureux du théâtre, il a écrit de nombreuses pièces comme L’île des esclaves.
Dès 1722 il rencontre ses premiers succès de dramaturge ; il publie une quarantaine de pièces, parmi lesquelles les comédies suivantes : La double inconstance (1723), La fausse  suivante (1723), Le jeu de l’amour et du hasard ( 1730), qui font de lui un témoin majeur de la société du XVIIIe siècle.
Marivaux est élu à l’Académie française en 1742.
Il est considéré comme le véritable précurseur de la libération de la femme, il a écrit La Colonie où il dénonce les idées reçues de son époque et amorce le mouvement féministe qui débutera deux siècles plus tard.

Variations autour d’un titre
La Nouvelle colonie ou la ligue des femmes, pièce en trois actes, représentée pour la première fois en 1729 au théâtre-italien de Paris, avait été un échec. Le public masculin n’était pas prêt à entendre de tels propos.
Vingt ans plus tard, Marivaux réécrit cette pièce en un seul acte et dix-huit scènes. Elle est jouée pour la première fois en 1750 sous le titre La Colonie.

A faire :
Recherchez dans le dictionnaire les différents sens des mots « colonie » et «  ligue ».
La polysémie/ des mots polysémiques ?

Les personnages de la pièce :

Arthénice, femme noble.
Madame Sorbin, femme d’artisan.
Monsieur Sorbin, mari de Madame Sorbin.
Timagène, homme noble.
Lina, fille de Madame Sorbin.
Persinet, jeune homme du peuple, amant de Lina.
Hermocrate, un autre noble.
Troupe de femmes, tant nobles que du peuple.

A faire
Etablissez un schéma des personnages, en tenant compte des liens qui les unissent et de leurs classes sociales.

Résumé :
La Colonie est une comédie en acte et en prose. La pièce comprend 18 scènes. C’est une pièce courte inspirée d’une comédie antique : Après avoir fait naufrage sur une île déserte, un groupe d’hommes mettent en place une nouvelle constitution : Le seigneur Timagène, représentant de la noblesse et l’artisan Sorbin pour représenter le tiers état. Mais les femmes refusent que ces derniers les excluent du gouvernement. Ne supportant plus de vivre sous la dépendance des hommes, elles décident d’établir des lois et forment leur propre constitution avec Arthénice, femme noble, et Madame Sorbin. Elles revendiquent une liberté de parole comme les hommes.
La Colonie fait partie des pièces utopiques de Marivaux, avec L’île des esclaves et L’île de la Raison. Dans les trois cas, l’intrigue se situe sur une île. L’île permet de créer l’utopie : loin du monde réel, il faut donc reconstruire une société et en créer une meilleure que celle qu’on a quittée.
Dans cette pièce, Marivaux s’intéresse aux droits civiques et au rôle de la femme dans la société du XVIIIe siècle. Les femmes s’opposent d’abord au fait que les hommes établissent des lois qui concernent les femmes alors même que celles-ci ne sont pas consultées.
A une époque où la femme était réduite à n’être qu’un objet d’intérieur sous la domination d’un maître, son mari, cette pièce est d’une modernité étonnante et annonce les mouvements féministes qui viendront deux siècles plus tard. Elle annonce les revendications d’Olympe de Gouges et sa Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne pendant la Révolution Française.
Marivaux va assez loin en annonçant la fin du mariage si celui-ci n’est pas égalitaire, puisqu’il est l’équivalent d’un esclavage.
Le thème : La question du combat pour l’égalité que mènent les femmes dans la société du XVIIIe et s’inscrit parfaitement dans les préoccupations actuelles.


Texte 1

La voix des femmes
Un peuple d’un pays vaincu a été contraint de se réfugier sur une île pour y créer une nouvelle société. Les hommes s’apprêtent à élire deux représentants chargés de rédiger les lois et de proposer un nouveau modèle de gouvernement. Mais ils ont pris cette décision sans consulter les femmes qui comptent bien faire entendre leur voix.
Scène 1
ARTHÉNICE.Nous voici chargées du plus grand intérêt que notre sexe1 ait jamais eu, et cela dans la conjecture2 du monde la plus favorable pour discuter notre droit vis-à-vis des hommes. [...]
Scène 2

[...]
ARTHÉNICE. – Eh ! dites-moi, Timagène, où allez-vous tous deux d’un air si pensif ?

TIMAGÈNE. – Au Conseil, où l’on nous appelle, et où la noblesse et tous les notables d’une part, et le peuple de l’autre, nous menacent, cet honnête homme et moi, de nous nommer pour travailler aux lois, et j’avoue que mon incapacité me fait déjà trembler.

MADAME SORBIN. – Quoi, mon mari, vous allez faire des lois ?

MONSIEUR SORBIN. – Hélas, c’est ce qui se publie, et ce qui me donne un grand souci.

MADAME SORBIN. – Pourquoi, monsieur Sorbin ? Quoique vous soyez massif et d’un naturel un peu lourd, je vous ai toujours connu un très bon gros jugement qui viendra fort bien dans cette affaire-ci ; et puis je me persuade que ces messieurs auront le bon esprit de demander des femmes pour les assister, comme de raison.

MONSIEUR SORBIN. – Ah ! tais-toi avec tes femmes, il est bien question de rire !

MADAME SORBIN. – Mais vraiment, je ne ris pas.
MONSIEUR SORBIN. – Tu deviens donc folle ?

MADAME SORBIN. – Pardi, Monsieur Sorbin, vous êtes un petit élu du peuple bien impoli ; mais par bonheur, cela se passera avec une ordonnance3, je dresserai des lois aussi, moi.

MONSIEUR SORBIN, rit. – Toi ! hé hé hé hé.

TIMAGÈNE, riant. – Hé hé hé hé…

ARTHÈNICE. – Qu’y a-t-il donc là de si plaisant ? Elle a raison, elle en fera, j’en ferai moi-même.

TIMAGÈNE. – Vous, Madame ?

MONSIEUR SORBIN, riant. – Des lois !

ARTHÈNICE. – Assurément.

MONSIEUR SORBIN, riant. – Ah bien, tant mieux, faites, amusez-vous, jouez une farce ; mais gardez-nous votre drôlerie pour une autre fois, cela est trop bouffon pour le temps qui court.

Marivaux, La Colonie, scène 2, 1750.

1. Les femmes.
2. Situation.
3. Un décret officiel.
 
Objectif :
1.     Découvrir le conflit sur lequel repose la pièce.
2.     La confrontation comique des hommes et des femmes au service de la critique sociale.

Q1. Quelle annonce les femmes font-elles aux hommes dans cet extrait ?
Les femmes font connaître aux hommes leur souhait de participer au gouvernement et à l’établissement des lois afin de faire valoir leurs droits.
Q2. Pourquoi la situation semble-t-elle favorable à Arthénice ?
Le naufrage semble avoir donné de la force à Arthénice par l’emploi de superlatifs «  du plus grand intérêt », «  la plus favorable ». Elle y voit une occasion de rebâtir une société où la femme ne serait plus considérée comme inferieure et parle au nom de toutes les femmes « nous ».
Q3. Timagène et Monsieur Sorbin ont été nommés pour « travailler aux lois ».
Que pensent-ils de cette décision d’après ce qu’ils en disent ?
A l’idée de travailler aux lois, Monsieur Sorbin et Timagène éprouvent de l’inquiétude : «mon incapacité me fait déjà trembler », « hélas », « un grand souci ». Les deux personnages trouvent le fait d’être nommés pour établir des lois absurde.

Q4. Le sentiment qu’ils expriment est-il sincère selon vous ?

Manifestement, Il s’agit d’un sentiment sincère puisqu’Arthénice observe chez Timagène et Monsieur Sorbin « un air si pensif ». Toutefois, cela reste à nuancer en fonction du portrait de chaque personnage. Timagène réagit en miroir à l’attitude de M Sorbin et ne semble guère apte à saisir les enjeux de la situation. Après cet extrait, Rappelons que Timagène est plus occupé à séduire Arthénice qu’à penser aux lois.

Q5. En quoi la deuxième réplique de Madame Sorbin est-elle comique ?

Madame Sorbin fait de son mari un portrait caricatural en toute inconscience. En voulant flatter l’artisant «  un très bon gros jugement » sur son bon sens, et ce malgré son manque de finesse «  un naturel un peu lourd », Madame Sorbin ridiculise son mari et le réduit à n’être qu’un personnage plein de lourdeur : «  gros » et « lourd » sont utilisés dans la même phrase. Le Franc-parler de Madame Sorbin participe ainsi au comique de l’extrait.

Q6. Quelles autres formes de comique identifiez-vous dans cet extrait ?

Outre le comique de caractère marqué notamment par Madame Sorbin, c’est la situation elle-même qui fait rire le public. Marivaux use ainsi du comique de situation en opposant M. Sorbin et Timagène, qui ne veulent pas participer à l’élaboration des lois, aux femmes qui ne peuvent pas y participer : dans les deux cas, les hommes et les femmes sont contraints en protestent. Ces échanges sont par ailleurs rythmés par les rires «  hé hé hé hé », les didascalies «  rit » et «  riant ».

On peut aussi parler de comique des mots, notamment avec Madame Sorbin qui utilise le champ lexical de la lourdeur en parlant à son mari, ou bien lorsqu’elle le qualifie de «  petit élu du peuple bien impoli »

Q7. Qui rit dans cette scène ?

-          Le rire provient des hommes : c’est indiqué dans les didascalies ……

Q8. En quoi ce rire peut-il être perçu comme humiliant ?

 

Les deux femmes ne sont pas prises au sérieux mais elles sont déconsidérées. Monsieur Sorbin les range du côté de la farce et de la bouffonnerie, leur ôtant toute crédibilité, tout statut autre que celui d’amuser : «amusez-vous, jouez une farce ; mais gardez-nous votre drôlerie pour une autre fois, cela est trop bouffon pour le temps qui court. »

Q9. Quel type de phrase est employé ?

-          Monsieur Sorbin. – Tu deviens donc folle ?

Il s’agit d’une phrase interrogative sans inversion sujet-verbe.

 

Q10. De quel type cette phrase relève-t-elle implicitement ?

On peut l’interpréter comme une phrase déclarative, une affirmation de la folie de Madame Sorbin : insulte qui participe à l’humiliation de la femme.

Q11.n Quelle image a –t-on des femmes à la lecture de cet extrait ?

Dans cet extrait, les femmes sortent de leur réserve. Elles se montrent résistantes en ne cédant pas aux attaques des hommes et décident de prendre la vie politique en main à côté d’eux.

II. Leçon de grammaire : Les types de phrases

 

Il existe trois types de phrases fondamentaux, non combinable entre eux : Les type déclaratif, interrogatif et injonctif.

Le type exclamatif est facultatif : il peut s’ajouter à chacun des trois types fondamentaux.

1.      Le type déclaratif :

-          Elle arrive.

-          La phrase déclarative permet la transmission d’une information.

Une interrogation indirecte correspond à une phrase déclarative : je me demande s’il travaille.

2.      Le type injonctif

La phrase injonctive exprime un ordre, une interdiction, un conseil ou une prière.

Le mode utilisé est souvent l’impératif mais on trouve aussi :

-          L’indicatif : vous ferez l’exercice chez vous.

-          Le subjonctif : Qu’il se taise !

-          L’infinitif : ne pas fumer.

-          Phrase non verbale : chut !

 

3.      Interrogatif

Exprime une demande d’information, se termine par un point d’interrogation et se construit différemment selon le niveau de langue :

-Vient-elle ce soir ? (soutenu)

- Est-ce qu’elle vient ce soir ? (courant)

- Elle vient ce soir ? (oral/ familier)

L’interrogation est totale quand la réponse est de type (oui, si ou non)

Elle est partielle quand elle appelle une autre réponse et ne porte pas sur la totalité de l’action.

-          Certaines questions n’appellent pas de réponse. Ces questions rhétoriques servent à exprimer indirectement un autre type de phrase.

Le type exclamatif s’ajoute à l’un des trois types fondamentaux, pour exprimer une émotion.

La phrase se termine toujours par un point d’exclamation qui peut remplacer le point ou le point d’interrogation.

-          Elle vient ce soir ! (déclaratif+ exclamatif)

-          Entre ! (injonctif+ exclamatif)

-          Elle vient ce soir ?! (interrogatif+ exclamatif)

 

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Vers le commentaire :

En quoi cette scène est-elle plaisante et instructive ?

Il s’agit dans une première partie d’envisager les différents types de comique (questions 2, 3,4) : Le comique de situation, le comique de caractère, le comique de mots, pour montrer dans une deuxième partie que le rire n’est pas gratuit : le rire invite le lecteur/ spectateur à réfléchir sur la cruauté des hommes (questions 5 et 6) et la volonté des femmes de se libérer (questions 7 et8).



 



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