Théophile de Viau, « Quand tu me vois baiser tes bras » (1621)


Texte 5 : Théophile de Viau, « Quand tu me vois baiser tes bras » (1621)
Quand tu me vois baiser tes bras,
Que tu poses nus sur tes draps,
Bien plus blancs que le linge même :
Quand tu sens ma brûlante main
Se promener dessus ton sein,
Tu sens bien Cloris que je t’aime.
Comme un dévot1 devers2 les cieux
Mes yeux tournés devers tes yeux,
À genoux auprès de ta couche3,
Pressé de mille ardents désirs,
Je laisse sans ouvrir ma bouche
Avec toi dormir mes plaisirs.
Le sommeil aise4 de t’avoir,
Empêche tes yeux de me voir,
Et te retient dans son Empire
Avec si peu de liberté,
Que ton esprit tout arrêté
Ne murmure ni ne respire.
La rose en rendant son odeur,
Le Soleil donnant son ardeur,
Diane et le char qui la traîne5,
Une Naïade6 dedans l’eau
Et les Grâces7 dans un tableau,
Font plus de bruit que ton haleine.
Là je soupire auprès de toi,
Et considérant comme quoi
Ton œil si doucement repose,
Je m’écrie : Ô Ciel ! Peux-tu bien
Tirer d’une si belle chose
Un si cruel mal que le mien ?
Théophile de Viau, « Quand tu me vois baiser tes bras », Œuvres poétiques, stances XXIX, 1621, orthographe modernisée.

1. Personne attachée à la religion.
2. Vers.
3. Lit.
4. Heureux.
5. Diane est déesse de la lune.
6. Divinité aquatique.
7. Divinités de la beauté.

Éclairage

·               Théophile de Viau est un poète libertin, exilé hors de France puis emprisonné pour ses poèmes licencieux. Au XVIIe siècle, le libertinage est avant tout un mouvement intellectuel porté par des libres-penseurs qui s’affranchissent des règles religieuses.

Objectif :

·               Identifier la provocation caractéristique du libertinage.

Orientation pédagogique :

·               Ce poème de Théophile de Viau permet de découvrir le libertinage sous l’angle de la sensualité et de la critique religieuse.

1. Quelle est la place des sens et des sensations dans ce poème ?

·               Les sens sont omniprésents dans ce poème, servant d’appui à la déclaration amoureuse. La vue est présente dès le vers 1 du poème avec « vois », mais aussi « yeux » (v. 8, 14) et « œil » (v. 27). L’odorat apparaît avec l’évocation florale et il est mis en valeur par l’allitération en [r] : « la rose en rendant son odeur » (v. 19).

·               Enfin, le toucher est évoqué par « tu sens » (v. 4) et « main » (v. 4).

·               On peut remarquer que l’ouïe est évoquée (« ne murmure ni ne respire » v. 18 ; « bruit », v. 24) mais précisément pour dire que la scène est silencieuse : les sens les plus importants sont donc la vue et le toucher.

·               Le poème met donc en avant les sensations dans l’expression de son amour : « tu sens bien Cloris que je t’aime » (v. 6). Ici l’amour se sent, s’éprouve physiquement.

2. Une belle endormie

·               A. Dans la quatrième strophe, à quoi et à qui Cloris est-elle comparée ?

·               Dans la quatrième strophe, Cloris est comparée à une rose (élément typique de la poésie amoureuse) ainsi qu’à plusieurs divinités mythologiques : le Soleil, Diane, une Naïade et les Grâces.

B. En quoi cela participe-t-il de l’éloge de la femme aimée ?

La femme aimée est en ce sens divinisée, ce qui participe de son éloge.

3.        
A. Relevez les phénomènes d’amplification et d’exagération.

·               On trouve dans ce poème plusieurs figures d’exagération :

·               Une comparaison hyperbolique : les bras de la femme aimée sont « bien plus blancs que le linge même » (v. 3) ;

·               Des hyperboles : « pressé de mille ardents désirs » (v. 10) ; et les structures en « si » à la fin du poème : « si belle chose » (v. 29), « si cruel mal » (v. 30) ;

·               L’énumération des sujets de la strophe 4 construits elle aussi une hyperbole.

B. Que traduisent-ils ?

·               Ces procédés d’exagération participent d’une part à l’éloge de la femme, et d’autre part, ils témoignent de la volonté du poète de convaincre Cloris de céder à ses avances.

4. Que ressent le poète face au sommeil de sa maîtresse ? Justifiez par des citations précises.

·               Le poète éprouve des sentiments ambivalents. Dans un premier temps, il se présente, agenouillé devant la belle endormie, comme un « dévot » (v. 7) respectueux du sommeil de Cloris : il déclare ainsi « je laisse [...] avec toi dormir mes plaisirs » (v. 11-12).

·               Néanmoins, le poète semble ressentir une certaine frustration, ce qui apparaît dans la dernière strophe : son « si cruel mal » v. 30, c’est que Cloris soit soustraite à ses désirs par le sommeil.

Un poème libertin

·               5. Grammaire

·               A. Identifiez les propositions dans la phrase complexe de la première strophe.

·               « Quand tu me vois [...] linge même » :

·               Proposition subordonnée circonstancielle, CC de temps

·               « Que tu poses nus sur tes draps » :

·               Proposition subordonnée relative, épithète du nom « bras »

·               « Que le linge même » :

·               Proposition subordonnée circonstancielle, CC de comparaison.

·               « Quand tu sens [...] ton sein » :

·                Proposition subordonnée circonstancielle, CC de temps

·               « Ma brûlante main se promener dessus ton sein » :

·               Proposition infinitive, COD de « sens »

·               « Tu sens bien Cloris » :

·               Proposition principale

·               « Que je t’aime » :

·               Proposition subordonnée complétive, COD de « sens »

B. Quel est l’effet produit par le retardement de la principale ?

·               L’accumulation de propositions subordonnées qui précèdent la principale crée un effet d’attente en retardant l’information principale de la phrase : la déclaration d’amour est ainsi mise en valeur.

6. Relevez le champ lexical de la religion.

·               Le poète utilise le champ lexical de la religion :  « dévot » (v. 7), « cieux » (v. 7), « à genoux » (v. 9), et l’apostrophe « Ô Ciel ! » (v. 28).

7
A. En quoi son utilisation est-elle provocante ?

·               Ce champ lexical est provocant car Théophile de Viau l’utilise dans un poème célébrant les plaisirs de l’amour sensuel : il compare l’amant à un « dévot » (v. 7), faisant ainsi de la femme aimée l’égale de Dieu. Le libertinage de pensée (qui rejette les dogmes religieux) rejoint ici le libertinage de mœurs.

B. Commentez particulièrement la rime des vers 7 et 8.

·               Au début de la deuxième strophe, on trouve la rime plate suivante : « cieux / yeux ». Elle met en valeur la comparaison réalisée par le poète : ce ne sont pas les « cieux » qu’il adore et qu’il prie, « à genoux », mais les « yeux » de la femme aimée. Cette rime contribue donc à révéler que Cloris est le sujet de l’adoration du poète, comme si elle était Dieu lui même.

·               D’un point de vue religieux, il s’agit donc d’un blasphème. Il nous montre la remise en question des dogmes religieux par les libertins du XVIe siècle, qui ne cherchent plus une transcendance divine, mais valorisent au contraire les plaisirs terrestres.

Vers le commentaire

·               8

·               Rédigez un paragraphe de commentaire qui montre l’importance du regard.

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